J'entrais doucement dans le bar surchauffé, m'imprégnant de son odeur de tabac froid. J'embrassais du regard la salle, m'attardant sur chaque visage. Je donnais un nom imaginaire à chacun, je les comptais et recomptais, puis je finis par aller m'accouder au comptoir. Je me penchais vers l'homme qui tournait un torchon dans un verre. « Toujours en retard, Winehouse. » me devança-t-il. Je levais les yeux au ciel. J'avais très exactement -je relevais ma manche pour apercevoir ma montre- deux minutes de retard, et le groupe précédent n'avait pas fini. Je ne répondis pas, laissant un silence embarrassé s'installer entre nous deux. A la place, je me tournais pensivement vers la mini-scène montée à la va-vite, comme chaque soir. Comme s'il avait lu dans mes pensées, Todd -le barman- me mit dans les mains une limonade bien citronnée. Et oui, on pourrait croire que le fils du vin aime l'alcool, même si j'adorais ça, mais j'en avais marre des cafés salés tout les matins, ainsi je m'offrait plutôt des limonades, désormais. Bonnes résolutions non tenues ? Pas du tout, une résolution est une résolution, même quand c'est celle de la taille du moniteur d'une ordinateur. La musique prit soudainement fin sur un accord de guitare que je trouvais mal placé, je relevais une autre fois les yeux au ciel. Au même moment, quatre étranges personnes rentraient dans le bar, aspergeant le monde de bruit et de testostérone. Je vint à leur rencontre, laissant derrière mon verre à peine sirotée de boisson non-alcoolisée. Je saluais chacun, les emmenait vers la mini scène et leur fit le speech habituel. Et oui, car ce soir-là comme tout les autres, les Apple's Band se produisait sur scène. Oui, quel nom intéressant, n'est-ce pas. Mais son histoire est trop longue pour être contée ici.

Nous prîmes place sur l'estrade en bois, nous disposant chacun derrière notre instrument. Une fois que chacun fût dans le bon ton, je pris la parole, du moins, je commençais à chanter. You say we're both little people and you like it that way. But in time I'm gonna put this body to shame. J'entendis derrière moi deux voix discrètes : And grow old. Je repris aussitôt, un sourire accroché aux lèvres. Wear a suit like my old man. Pack up all my things and get my ass outta town. Là, la chanson commençait. A la place des simples notes de piano, se rajoutèrent la guitare acoustique, et un son ambiant de guitare basse. We've got it good. Whether you like this town or not. I know it's small but with a big head. Les yeux mi-clos, je finis par les rouvrir dans la lumière tamisée du bar. Les visages étaient tournés dans notre direction, une bouffée de fierté me cueillit. Ouais, je suis quelqu'un de fier par nature, mais là, j'avais enfin réussi quelque chose que je trouvais important. Je m'accrochais presque désespérément au pied du micro, essayant de me noyer dans la mer de prunelles qui me faisait face. Quand, d'un coup tout seul, je croisais des iris chocolatés familières. Mon sourire s'élargit de lui-même. Baby anywhere is away from me. Je laissais mes yeux dans les siens, comme pour lui dédier une chanson, ce que je ne faisais pas, d'ailleurs. La salle enfumée était enivrante, je sentis encore cette bouffée me prendre à la gorge. In the summer but the summer is a bummer. Le rythme devint plus régulier, lentement. Me again oh so casually. Did you take the hit for me or the home team ? Petit silence, quelques ouuuh ouuuh. This midwest town is gonna miss you.

Des applaudissements fusèrent, tandis que je terminais la musique dans un petit rire presque grivois. Nous saluâmes, puis nous retournâmes à terre, prêt aux félicitations ou aux verres offerts. Je me penchais vers Todd pour récupérer mon dû : quelques billets égarés, avec des billets donnés par des clients. Je lui souris. Certes, cet argent était de trop pour moi -entre nous, je ne manquais de rien- mais j'avais réellement besoin de me savoir indépendant. Peut-être étais-ce faux, mais cela me rassurait. Je pris deux verres de limonade, puis m'approchait de la brune aux yeux chocolats, cette chère Séléné. « Bonsoir. » dis-je simplement, lui refourguant un des verres entre les mains. Séléné, je l'avais aperçue à plusieurs reprises, mais nous n'avions pas eu forcément le temps de faire connaissance, ainsi souhaitais-je combler cette lacune béante. Avec un petit sourire, je coinçais le bout de la paille que j'avais prise au coin de mes lèvres, aspirant lentement l'eau pétillante citronnée. En adressant un bref signe de main au reste du groupe, j'emmenais la jolie brune à une table à l'écart. « Ma foi, encore heureux de te rencontrer. Dis-moi que ça va bien... ? » dis-je simplement, montrant une décontraction que je ne partageais pas. J'avais le cœur qui battait à cent à l'heure. Pourquoi ? Oh, la fierté puis... le trac. Le trac d'avoir réussi cette chanson devant un bar plein à craquer (ou pas). Je me sentais fébrile, comme je l'avais été sur scène. Je souris néanmoins.