'' Il y a des moments comme ça ou la portée de tout ce que j'ai vécu me rattrape, me frappe comme une gifle, m’assomme presque. Dans ces moments là, j'ai pris l'habitude d'écrire. J'aime écrire. Sans doute est-ce Orphée qui m'a transmis cet amour des mots, cette manie de mettre mes pensées en poèmes, en chansons. Je n'ai pas de talent particulier, ni même de dévouent à ce loisir imaginaire, seulement, j'aime le faire. J'ai l'impression que les centaines de carnets dans lesquels j'ai consignées mes pensées depuis mon arrivée en Enfer conservent mon souvenir, sont une partie de moi. ''

La jeune femme repoussa une des boucles brunes qui lui tombaient devant les yeux, presque avec agacement. Elle n'aimait pas être dérangée dans ce qui, bien qu'elle n'eut pas osé l'admettre, était devenu une de ses principales raisons de vivre. Depuis qu'elle avait quitté les Enfers en catastrophe, quelques semaines plus tôt, elle n'avait d'autres choix que de se cacher. Les maîtres des Enfers ne devaient pas la retrouver, ah ! ça non. Elle qui avait eut la chance de partir, une fois, et l'avait gâchée, si on peut dire, elle n'avait pas le droit de retourner sur Terre, de goûter à ne serait-ce qu'un peu de bonheur. Eurydice sourit au souvenir de ce qu'avait dit Hadès, il y a des milliers d'années. '' Elle restera ici pour toujours ''. Eh bien, non. Eurydice tourna quelques pages de son précieux carnet, une petite chose en cuir rouge qu'elle avait trouvée dans un supermarché et dont elle ne se séparait plus depuis son retour sur Terre. Oh ! bien sûr ce nouveau carnet détonnait énormément d'avec les immenses recueils en cuir qui étaient à sa disposition aux Enfers, mais elle s'en moquait. Son écriture était toujours la même, légèrement inclinée, ronde, gourmande. Elle écrivait en latin, en grec, parfois. Si elle parlait les langues d'aujourd'hui avec une certaine facilité et un léger accent qui en intriguait plusieurs, les lire, et les écrire, bien sûr, lui était impossible. Elle relut la première entrée du carnet, qui datait de presque deux mois déjà.

'' Aucun monstre mythologique, aucun chien des Enfers, rien ! Absolument rien ! Je crois pouvoir dire que j'ai enfin réussit à me libérer de l'emprise démoniaque sous laquelle j'évoluais aux Enfers, celle d'Hadès et de Perséphone. Il y a de nombreux siècles que j'appréhende le jour ou enfin je pourrai retourner sur Terre, et ce jour est arrivé ! D'accord, je n'y suis revenue que depuis quelques heures seulement, toutefois je sais que je n'aurai pas à retourner aux Enfers. Si vraiment les maîtres avaient voulut me retrouver, ils l'auraient fait depuis longtemps. J'ose espérer que j'ai raison et que je suis enfin libre. Car si vraiment je le suis, alors je pourrai retrouver mon bel Orphée et, peut-être, un semblant de la vie que je menais avant. Grâce à tous ces damnés qui viennent s'échouer aux Enfers depuis la nuit des temps, je ne suis pas trop déboussolée dans ce monde de technologie. J'arrive même à parler cette langue étrange qui a remplacé le latin comme monopole du langage : l'anglais. Je n'ai rencontré personne qui ne la parlait pas. Encore une fois, j'ai voulu écrire, mais n'ayant pas de papier, je me suis mise en quête d'une étale en vendant. Enfin, une étale... Je suppose que le terme '' super-marché '' serait plus approprié. Bref, j'ai trouvé quelque chose ressemblant à ce que je cherchais et, lorsque j'ai tendu une drachme d'or à la jeune femme qui m'y avait aidé, elle a éclaté de rire en me demandant s'il s'agissait d'une nouvelle série de monnaie particulière. J'ai répondu que si, déboussolée, et je suis partie. J'espère que ma prochaine visite dans ce super-marché se déroulera mieux. ''

Eurydice posa son stylo sur la table. Heureusement qu'elle avait fait la connaissance d'un homme qui s'était perforée la carotide avec une telle '' arme '', sans quoi elle n'aurait jamais trouvé de quoi écrire son nouvel ouvrage. Les plumes et l'encre avaient disparu, à son plus grand désarroi, remplacés par de petits objets que les humains d'aujourd'hui appelaient crayons. Le métal était froid sous ses doigts. En fait, ici, tout était froid, du sol sur lequel elle marchait jusqu'à l'allure qu'elle devait se donner. La ville s'appelait... New Chork ? Non, New York. Oui, exactement. Les habitants la surnommaient la Grosse Pomme, elle qui n'avait pourtant vu de fruits nul part. Il n'y avait même pas de marchands de poissons ! Comme s'alimentaient-ils ? Elle aurait dut poser plus de questions aux nouveaux arrivés infernaux avant de partir, mais elle n'avait eut ni le temps ni la patience de le faire.